Octobre 2019 au théâtre des Amandiers de Nanterre : Le Livre d’image de Jean-Luc Godard est « accueilli » pour la première fois en France dans un dispositif inédit pensé par Nicole Brenez (invitée de notre émission à ce sujet) et Philippe Quesne, directeur du théâtre. Dans les gradins de la grande salle où étaient projetés les Histoire(s) du cinéma de JLG, Fabrice Aragno a reçu NÉGATIF pour un entretien filmé inédit. Il revient avec nous sur ce parcours Livre d’image, les coulisses de la fabrication du film et la trajectoire qui l’a menée à être assistant, opérateur, monteur, étalonneur et mixeur pour Godard.

Comment se définir en tant que créateur ? Fabrice Aragno n’aime pas les définitions :  « Les mots on s’y accroche et il n’y a plus d’image ». Pour lui le cinéma est justement le moyen de s’exprimer autrement que par les mots : le langage passe aussi par les mains. Le cinéma ce n’est pas la définition mais la projection : le mystère se crée non pas dans ce qui est à l’image mais dans ce qu’on y projette en tant que créateur ou spectateur.

Pourquoi accueillir Le Livre d’image dans un théâtre ? L’initiative n’est pas de Fabrice Aragno, qui s’est contenté d’amener les films et de superviser leur installation. Un dispositif suspendu avec une télévision réglée en mode dynamique et un son en huit hauts-parleurs qui entoure le spectateur… « Le cinéma est peut-être mort, mais le vivant dans le cinéma c’est le public » assure Fabrice Aragno.

Le parcours conçu dans les coulisses du théâtre des Amandiers permet de naviguer dans l’oeuvre de Jean-Luc Godard, d’Anne-Marie Miéville, de Paul Grivas ou encore de Fabrice Aragno lui-même. Son film Suite Lacustre est projeté sur trois murs et deux portes. Une tentation et non une tentative selon lui. Un travail d’associations par algorithme graphiques qui consacre une « machine cybernético-cinématographique » et réinvente le montage au cinéma.

Au début des années 2000 Fabrice Aragno rencontre Jean-Luc Godard. Avec lui il travaille sur Film Socialisme puis Adieu au Langage. Inventeur et bricoleur, opérateur et monteur, il rejette la fétichisation de Godard alors que sa relation avec Jean-Luc est simple et humaine. Selon Fabrice Aragno il ne faut pas tenter de trouver la clef magique de compréhension des films de Godard : il faut prendre le film comme on prend quelqu’un dans ses bras, et faire un pas de deux.

Fabrice Aragno ne fétichise pas non plus la technique. Les caméras numériques sont pour lui de simples outils et ce n’est pas la caméra qui fait l’image. Pour lui c’est lors du montage que l’on compose véritablement le film et que l’on « met de l’imaginaire dans le concret ». Finalement, voilà peut-être la définition du cinéma selon Fabrice Aragno.

00:02:00 — Le cinéma comme moyen d’expression par les mains
00:06:32 — « Ce n’est pas ce qui est à l’image qui est intéresse, c’est ce qu’on y projette »
00:12:00 — Le parcours Livre d’image au théâtre des Amandiers : faire exister le film autrement
00:19:36 — La projection algorithmique de Suite Lacustre, machine cybernético-cinématographique
00:24:23 — La création du Livre d’image de JLG : dispositif 7.1, Cannes et les théâtres
00:39:59 — Contre les fétiches : une rencontre humaine avec Jean-Luc Godard
00:53:18—  Un travail à plusieurs mains pour fabriquer Le Livre d’image
01:02:55 — Questions techniques et politiques : caméras numériques, pixels et remakes de Daesh
01:16:84 — La vie d’un réalisateur-producteur : filmer au quotidien et trouver de l’argent
01:35:02 — « Pose toi pas trop de questions »

Né en 1970, Fabrice Aragno étudie à l’ECAL (École cantonale d’art de Lausanne) jusqu’en 1998. Il réalise un court-métrage intitulé Dimanche, sélectionné en compétition au Festival de Cannes 1999. Depuis il a réalisé de nombreux courts-métrages : Le Jeu (2002), Autour de Claire (2010), Freddy Buache, le cinéma (2012), Quod Erat Demonstrandum (2012), L’invisible (2013) et Lakeside Suite / Suite Lacustre (2019) — projeté au Festival de Rotterdam et au Théâtre des Amandiers la même année. Il prépare un long-métrage de fiction intitulé Le Lac.

Son travail comme assistant auprès de Jean-Luc Godard débute en 2002. Il collabore ainsi sur Notre Musique (2004) puis Film Socialisme (2010), Les Trois Désastres (2013) et Adieu au langage (2014). En 2018 sa collaboration sur Le Livre d’image le met en avant au Festival de Cannes où il reçoit — en l’absence de Godard — la Palme d’Or Spéciale remise au réalisateur de Rolle. Directeur de la photographie, monteur, étalonneur, mixeur : il est de tous les postes de la création manuelle des films de JLG.

Fabrice Aragno a également collaboré avec le metteur en scène de théâtre et de cinéma Pippo Delbono sur ses films Armore Carne (2011), Sangue (2013) et Vangelo (2016).

Le numéro 112 de la revue Trafic propose un ensemble de textes autour du Livre d’image de Jean-Luc Godard.

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