Entretien avec Quentin Müller, reporter dans la péninsule arabique

Date de publication:

10 janvier 2022

Durée:

2h00

Animateur:

Thibault Elie

RÉSUMÉ

« Le reportage nous arrache à la fiction pour nous plonger dans le terrain difficile de la vérité », analysait le critique littéraire John Carey en introduction de son fabuleux recueil The Faber Book of Reportage. Il y faisait remonter les premiers reportages de l’humanité à Thucydide et à Xénophon, initiateurs du genre car ayant eu la brillante idée d’écrire sur les événements de leur temps en leur qualité de « témoins oculaires ». 2400 ans plus tard, tandis que l’espèce humaine est toujours absorbée par les conflits ; des reporters à l’image de Quentin Müller utilisent les multiples outils du langage pour raconter l’actualité brûlante de nos tragédies intemporelles.

Journaliste autodidacte, Quentin Müller couvre essentiellement le terrain de la péninsule arabique et du Moyen-Orient : Qatar, Koweït, Oman, Yémen, et même l’Irak, l’Iran et l’Afghanistan font partie des pays sur lesquels il a écrit dans la presse ou dans des livres (lire la biographie ci-dessous). S’il revendique cette spécialité géographique et une certaine « identité » dans le choix des sujets, il ne se limite pas au reportage dit « de guerre » et aborde aussi des sujets économiques, écologiques, sociaux ou géopolitiques.

En explorant le geste du reporter comme le geste d’un créateur, nous examinerons les formes que peut revêtir le reportage, au-delà de sa version cinématographique (écouter à ce sujet notre entretien avec le cinéaste Florent Marcie) : comment accéder au « terrain » du reportage ? Par quels outils récolter la riche matière du réel ? Comment transformer ces traces et souvenirs en articles « anglés » vendus ensuite à des journaux ? La forme étant d’abord une question pratique, comprendre avec lui sa praxis nous permet d’entrevoir comment il « met un peu de lumière sur des gens qui sont dans l’ombre ».

La méthode d’action de Quentin Müller, sinon son dispositif, repose d’abord sur un rapport singulier et rare à la durée qui lui permet de s’extraire de l’instantanéité de l’actualité. Ainsi ses deux voyages de plusieurs mois au Yémen en 2021 (lire ci-dessous), lui ont permis de cartographier le pays dans toute sa complexité et sa multiplicité. De la ligne de front de Marib à l’île de Socotra au large, des marges du territoire aux points stratégiques, « passer du temps » est le meilleur moyen de raconter au plus près l’histoire d’un monde « qui manque de poésie et de temps parfois ».

À travers récits et témoignages, le reportage est donc d’abord une rencontre de l’Autre et du lointain qui sera donnée à lire, à écouter ou à regarder — puisque ses photographies de reporter sont désormais publiées et exposées. Assumant son évidente part subjective, épousant la liberté des formes et supports de récit, Quentin Müller s’inscrit dans la lignée des esprits créateurs du reportage, ceux qui, selon lui, « assemblent des mots pour raconter des histoires qui n’existaient pas ».

LES CHAPITRES

00:03:01 — « Journaliste », faire des rencontres et écrire ce que l’on a vu et entendu
00:13:20 — Le reportage comme éthique de travail sensible
00:22:12 — Yémen : raconter le pays tel qu’il est, dans toute sa complexité
00:33:07 — De Marib à Socotra, déchiffrer «les » guerres du Yémen
00:40:51 — Logistique du reportage : visa, terrain et fixeurs
00:51:11 — Photographier la « beauté de la guerre », un paradoxe ?
00:58:26 — Du carnet de notes à la longue durée : les outils indispensables du reporter
01:04:43 — Immersion à Socotra, l’île oubliée dont on ne revient jamais vraiment
01:16:41 — Petite économie du reportage : coûts, ventes et liberté
01:23:23 — Processus d’écriture & références littéraires
01:39:29 — Débuter comme autodidacte et garder son identité
01:52:05 — Du reportage comme création et champ d’action non limité

BIOGRAPHIE

Après des études de philosophie à l’université, Quentin Müller réalise ses premiers reportages en 2014 pour le magazine So Foot : il voyage notamment en Galilée et au Rwanda. Autodidacte, il écrit par la suite pour de nombreux titres de la presse française et internationale :  L’ExpressLe VifLibération, La Croix, Le Monde Diplomatique, So Foot, Télérama, L’Orient le Jour ou encore Al Jazeera.

En 2019, il écrit avec son confrère Brice Andlauer le livre-enquête Tarjuman, à propos du destin des interprètes de l’armée française en Afghanistan, abandonnés et trahis par l’État français alors qu’ils ont risqué leur vie pour aider la guerre menée contre les talibans — un livre qui a été adapté en BD l’année dernière sous le titre Traducteurs afghans.

En 2021, Quentin Müller voyage à deux reprises au Yémen, d’abord sur l’île de Socotra puis sur le territoire principal, notamment sur la ligne de front de Marib. Pratiquant la photographie depuis son séjour sur l’île de l’arbre dragon (voir quelques clichés ci-dessous).

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LIENS EXTERNES

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FOCUS SUR...Le Yémen, un pays en guerre civile depuis 2014

Comprendre le conflit

Pays de 30 millions d’habitants, le Yémen situé au sud-ouest de la péninsule arabique, grand comme la France métropolitaine et avec un PIB plus de cent fois inférieur.

En 1990 a lieu la réunification des deux Républiques yéménites, auparavant divisées selon une fracture nord/sud. En 2011, dans le sillon des printemps arabes, sous la pression populaire et internationale, le président Ali Abdallah Saleh est déchu, après 33 ans de règne sur le Yémen du Nord puis dans la République unifiée. En 2014, un projet de réforme institutionnelle du pays en fédération est préconisé, mais la rébellion zaïdite et houthiste — du nom de la tribu de leur fondateur Hussein Al-Houthi — active depuis 2004 depuis Saada dans le nord-ouest du pays, s’oppose à l’accord et prend les armes. D’une rébellion locale, le conflit devient national puisque les Houthistes revendiquent le pouvoir central.

La guerre civile est enclenchée : en septembre 2014, le mouvement armé des Houthistes prend la capitale Sanaa, située elle aussi à l’ouest, et s’empare du pouvoir début 2015, forçant le nouveau président Haidi à se réfugier dans le sud puis en Arabie Saoudite voisine. Les Houthistes contrôlent depuis une grande partie de l’ouest du pays, l’ancien Yémen du Nord, la partie du pays la plus peuplée, avec des accès au sud vers le détroit stratégique de Bab el-Mandeb qui mène à la mer rouge. Après 2015, une coalition  de neuf pays arabes menée par Riyad lance une opération militaire essentiellement aérienne contre les Houthis, tant pour protéger sa frontière sud que pour contrer l’influence iranienne, la rébellion houthiste étant chiite alors que l’Arabie Saoudite est sunnite.

Quasiment six ans plus tard, la guerre civile devenue guerre régionale fait partie de ces conflits enlisés, comme la Libye ou la Syrie, avec un terrible bilan humain et humanitaire, dans les combats comme dans la vie ordinaire, avec un risque de famine. Sachant qu’il y a, en plus des rebelles et du gouvernement, un mouvement indépendantiste et la présence d’Al Qaïda.

Pour approfondir
Carte interactive en temps du réel du conflit au Yémen
Carte de la guerre par Wikipédia
La guerre expliquée par Le Monde en 2018
Le Dessous des Cartes : Yémen, l'impossible unité ?
Photographies de Quentin Müller
Plus de photos de Quentin Mûller sur Instagram
Articles de Quentin Müller
Les fantômes de Nadjaf - La Croix

« Les monstres n’existent que dans les contes. Pourtant, dans le plus grand cimetière du monde, à Nadjaf, les esprits des fossoyeurs sont hantés par une étrange créature. Tantal, comme certains l’appellent, a blessé, traumatisé et ruiné certains d’entre eux. Derniers maillons d’une chaîne humaine usée par l’horreur des guerres et du terrorisme, les creuseurs de tombes de Wadi Al-Salaam racontent leur angoisse. Celle de tout un pays. »

À Oman, les locaux priés de se mettre au boulot - Libération

« Pour favoriser l’emploi des Omanais, le sultanat renforce les mesures contre l’embauche des étrangers. Mais les nationaux ne sont pas perçus comme une main-d’œuvre efficace.  »

FOCUS SUR...L'île de Socotra

Photographies de Quentin Müller
Description de l'île
« Socotra, l'île oubliée », un reportage de Jean-Pierre Perrin, mars 1998

« L’île est comme un astre éteint. Le cœur ne brûle plus mais son rayonnement, fait de mythes, de légendes et de racontars, continue de traverser les siècles pour faire rêver les chercheurs et chercher les rêveurs.  Pour Hérodote et les pharaons, Socotra est l’île où renaît le Phénix, l’oiseau de l’immortalité, sur un bûcher de myrrhe et d’encens. Pour Montaigne, le pays où le peuple était « si content de sa fortune qu’au milieu de la mer il ignore l’usage des navires ».  Marco Polo, lui, rêvait sur Socotra et des îlots voisins de Samha et Darsa, l’un peuplé exclusivement d’hommes, l’autre de femmes, les premiers ne rencontrant les secondes que trois mois par an. »

Articles de Quentin Müller
À Socotra, la paix s’est envolée - Le Monde Diplomatique (abonnés)

« Depuis un an, Socotra, archipel yéménite longtemps négligé par le gouvernement central, est aux mains de séparatistes sudistes soutenus militairement par les Émirats arabes unis et, de manière plus discrète, par l’Arabie saoudite. Quelle que soit l’évolution de la guerre, Abou Dhabi entend bien renforcer son implantation militaire afin de contrôler ce verrou maritime stratégique du golfe d’Aden. »

L'arbre dragon du Yémen - RFI

« Le dragonnier de Socotra ne pousse que sur l’île yéménite de Socotra. Un arbre extraordinaire, menacé de disparition par la sécheresse, les cyclones et les animaux d’élevage. C’est son histoire qu’a choisi de raconter le journaliste indépendant Quentin Müller, l’auteur du premier texte d’un magazine original publié en France, La Disparition»

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