Date de publication:
2 septembre 2019
Durée:
1h08
Animateur:
Thibault Elie, Maxime Rodriguez
Figure émergente du cinéma catalan depuis plus de dix ans, le réalisateur Albert Serra navigue entre le monde des musées et celui des salles obscures. Il se définit à la fois comme « créateur d’images en mouvement » pour les possibilités formelles du cinéma et comme « artiste » pour que le musées participe au financement de son cinéma d’auteur.
Lauréat d’un prix au dernier Festival de Cannes, son 5ème long-métrage, Liberté, transpose son dispositif de tournage fétiche : à trois caméras et trois cadreurs, Albert Serra souhaite créer une expérience de transe. Au sein d’une forêt éclairée au clair de lunes, nobles du XVIIIème siècle s’adonnent à des pratiques libertines. Sans scénario, sans répétitions, en limitant son intervention et la communication sur le plateau de tournage, le réalisateur catalan explique que la fabrication de ses films ne peut advenir que dans « l’opacité ».
Préférant la fiction, espace de liberté et de la fantaisie, à la forme documentaire, Albert Serra a pourtant réalisé un film qui est pour lui le « making-of » de tous ses films. Lettre filmée, Le Seigneur a fait pour moi des merveilles est surtout un documentaire sur lui-même, se mettant en abîme sur le tournage avec ses acteurs et techniciens dans ce qui ressemble à la face immergée de l’iceberg que serait Honor de Cavelleria, son premier long-métrage professionnel en 2006.
Pour Albert Serra la caméra a cette faculté étonnante d’être toujours en avance sur l’œil humain grâce à ses capacités de pénétration et de concentration plus fortes. Ainsi son travail de réalisateur est en réalité un travail d’observateur sur le plateau puis d’analyste au moment du montage des images et sons enregistrés. Albert Serra donne alors une cohérence rythmique pour trouver la « vitesse juste », quitte à ce que son cinéma soit perçu comme lent. Une méthode originale qu’il assume pour « faire vibrer le film » et créer une interaction organique avec le spectateur.
00:01:45 — Être un créateur d’images en mouvement en s’amusant avec le numériques pour créer des atmosphères inédites
00:04:10 — Liberté, film-performance où se crée un espace par l’observation des acteurs
00:12:47 — Ne pas faire de répétitions c’est accepter la fatalité de la vie
00:19:23 — Un dispositif à trois caméras et trois cadreurs pour n’avoir aucun point de vue autre que celui des images
00:28:13 — Un cinéma trop lent…par rapport aux autres films ?
00:31:53 — Du spectateur au créateur, un parcours marqué par les petits outils numériques
00:37:14 — Au cinéma le documentaire doit être ambigu, la fiction est un espace de liberté
00:48:48 — Filmer la tauromachie : vieux rêve de restituer la mystique de cette expérience esthétique
00:57:36 — Travailler avec des jeunes techniciens peu expérimentés..et en non-communication
01:06:34 — Les jeunes doivent utiliser les outils numériques à leur portée pour faire des films
Né en 1975 en Catalogne, Albert Serra suit des études de cinéma et réalise de petits films grâce aux caméras numériques DV qui apparaissent au tournant des années 2000. Son premier long-métrage amateur, Crespia : the film not the village amorce ainsi sa forme fétiche entre documentaire et fiction dans la re-création d’un passé avec des acteurs du présent.
En 2006 son premier long-métrage professionnel est sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs de Cannesn. Le film est salué par la critique pour son anti-adaptation de l’immense Don Quichotte de Cervantes. Albert Serra récidive en 2008 avec une re-interprétation mystico-minimaliste des Rois mages avec Le Chant des oiseaux, toujours à la Quinzaine.
En parallèle de ses longs-métrages de fiction, Albert Serra signe des commandes pour de nombreux musées. En 2011 Le Seigneur a fait pour moi des merveilles est une mise en abîme de ses tournages avec ses acteurs, ses techniciens et lui-même dans un vrai-faux documentaire de 2h26. En 2012 il présente Les Trois Petits Cochons, oeuvre vidéo monumentale de 101h traçant un portrait de l’Allemagne selon Goethe, Hitler et Fassbinder qui est présentée dans le cadre de la documenta de Kassel.
Les films d’Albert Serra sont salués dans les festivals de cinéma. Il obtient ainsi le Léopard d’or du Festival de Locarno en 2013 pour Histoire de ma mort où il fait dialoguer Casanova et Dracula. En 2016 son film La Mort de Louis XIV avec l’acteur Jean-Pierre Léaud obtient le prestigieux Prix Jean Vigo. À cette occasion il collabore avec le directeur de la photographie Jonathan Ricquebourg, lauréat du meilleure photographie aux Prix Lumières 2017. Ce film fait l’objet d’un « remake » intitulé Roi Soleil avec son acteur fétiche Lluís Serrat incarnant Louis XIV.
En 2019 il obtient le Prix spécial du jury dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes pour le film Liberté, peinture nocturne de libertins au siècle des Lumières, après avoir déjà mis en scène une pièce éponyme au théâtre à Berlin.
Le chercheur René Prédal analysait en 2008 dans ce court essai l’émergence des nouveaux petits outils que sont les caméras numériques. Tant en documentaire qu’en fiction, il montre qu’elles permettent de raconter autrement des histoires grâce à leurs propriétés techniques et leurs possibilités esthétiques inédites dans l’histoire du cinéma. Honor de Cavalleria (2006) d’Albert Serra y est cité comme un « film poétique non narratif » présentant le « paradoxe d’évoquer un passé lointain [le roman Don Quichotte de Cervantes] en usant d’une innovation technologique ».
Cliquez sur les images pour lire les bandes-annonces.
« Guidés par le hasard, Don Quichotte et Sancho poursuivent jour et nuit leur voyage à la recherche d’aventures. Ils chevauchent à travers champs, conversant sur des sujets aussi divers que la spiritualité, la Chevalerie, ou simplement la vie quotidienne. Un lien d’amitié de plus en plus fort les unit. »
« Les Rois Mages sont en route à la recherche du Sauveur. Ils traversent, un peu au hasard, des déserts de glace, puis de sable. Ils vivent au gré des saisons, en harmonie avec la nature, se nourrissant simplement et dormant à la belle étoile. »
« Casanova fait la connaissance d’un nouveau serviteur qui sera le témoin des derniers moments de sa vie. Quittant un château suisse aux ambiances galantes et libertines typiques du 18ème siècle, il passe ses derniers jours dans les terres pauvres et sombres de l’Europe septentrionale. Là-bas, son monde de mondanités et sa pensée rationaliste s’effondrent face à une force nouvelle, violente, ésotérique et romantique représentée par Dracula et son pouvoir éternel. »
« Août 1715. À son retour de promenade, Louis XIV ressent une vive douleur à la jambe. Les jours suivants, le Roi poursuit ses obligations mais ses nuits sont agitées, la fièvre le gagne. Il se nourrit peu et s’affaiblit de plus en plus. C’est le début de la lente agonie du plus grand roi de France, entouré de ses fidèles et de ses médecins. »
« Madame de Dumeval, le Duc de Tesis et le Duc de Wand, libertins expulsés de la cour puritaine de Louis XVI, recherchent l’appui du légendaire Duc de Walchen, séducteur et libre penseur allemand, esseulé dans un pays où règnent hypocrisie et fausse vertu. Leur mission : exporter en Allemagne le libertinage, philosophie des Lumières fondée sur le rejet de la morale et de l’autorité, mais aussi, et surtout, retrouver un lieu sûr où poursuivre leurs jeux dévoyés. Les novices du couvent voisin se laisseront-elles entraîner dans cette nuit folle où la recherche du plaisir n’obéit plus à d’autres lois que celles que dictent les désirs inassouvis ? »